Hommage à Patrice Chéreau : "Ceux qui m'aiment prendront le train"

Hommage à Patrice Chéreau


 à l'Odéon-Théâtre de l'Europe : 
dimanche 3 novembre 2013 à 20 h

"Tempo è galant'uomo"
Figaro, Le Mariage de Figaro, Beaumarchais (III, 5)

FIGARO :
"Tempo è galant'uomo, dit l'Italien ; il dit toujours la vérité : c'est lui qui m'apprendra qui me veut du mal, ou du bien."


 
"Les Inséparables" d'Esther Shalev-Gerz, fabriqué par Jaeger-LeCoultre


cf. Rubrique : le personnage de roman

Où est passé le temps ?
Collectif sous la direction de Jean Birnbaum,
Folio Essais (n°568), Gallimard




Marcel Proust, A la recherche du temps perdu
"Marcel Proust– A l'ombre de l'imaginaire" (Le Monde : une vie, une oeuvre -Hors série)

"le palimpseste de la mémoire"

"Les anneaux nécessaires d'un beau style"
"La vraie vie, c'est la littérature"
Marcel Proust, Le Temps retrouvé


Arthur Rimbaud, Illuminations
"Je est un autre"
"La vraie vie est absente"

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"J'avais d'abord besoin de gens qui ne seraient pas pressés"
Joël Pommerat, Théâtres en présence

"Il faut du temps avant que les vérités que l'on s'est faites deviennent notre chair même"
Paul Valéry

"Des conseils, seule en donne la solitude",
Réponse de Stéphane Mallarmé au jeune Paul Valéry

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"Le style, c'est l'homme même"


cf. Rilke – Lettre à un jeune poète


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Portraits en "cercles/fictions" : en palimpsestes et en présences


cf. Rubrique : le personnage de roman

"Jouer avec ce qu'on ne cadre pas"

"un signal à travers les flammes" ?
Antonin Artaud, cité par Peter Brook dans L'Espace vide
Patrice Chéreau


 
 Festival de Cannes 1983


"Un film tourné au plus près, à fleur de peau. C'est ce que je cherche"
"La différence entre le cinéma et le théâtre, c'est le gros plan"
"jouer avec ce qu'on ne cadre pas"

Les Transversales de Patrice Chéreau, Gérard Pernon
Entretien au cours d'un hommage rendu par Rennes 2 en 2008 (Ouest-France)
Patrice Chéreau était en cours de tournage de son film,  Persécution


 La Lutte de Jacob avec l'Ange, Eugène Delacroix (1861)
Chapelle Saint-Sulpice, Paris


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 Hommage d'Ariane Mnouchkine, 9 octobre 2013

Théâtre du soleil


Patrice, très ennuyé, me raconte ses difficultés à monter son projet de film sur Napoléon à Sainte Hélène.
— Mais pourquoi ?
— Al Pacino n’arrive pas à se décider, et puis les producteurs et lui trouvent que c’est très cher.
— Très cher ? — je m’étonne — mais à part Al Pacino lui-même, Napoléon à Sainte Hélène, quand même, ça ne doit pas être si cher que ça !
— Et bien… c’est à dire… il y a quand même un flashback de 45 minutes sur la retraite de Russie…
Je me souviens du fou rire qui nous prit. De son espièglerie, de sa malice de collégien. De sa constance dans la gaieté. De ses étonnements fertiles. De ses yeux qui écoutaient. De son pas. Court et si rapide. Comme s’il était toujours en train d’aller se mettre en place. Quelque part. Pour commencer ou poursuivre. Une répétition. Une idée. Un projet. Un rêve.
Je me souviens de sa franchise. De son honnêteté intellectuelle. Je me souviens d’Avignon en 2003. On ne nous aimait pas beaucoup cette année là. Il s’en étonnait. Il s’étonnait de la violence verbale. Il voulait débattre, comprendre.
Cette nuit on le pleure à Milan, à Aix-en-Provence, à Bayreuth, à Salzbourg, à Spoleto, à Bruxelles, à Paris. On le pleure partout où il a œuvré. On le pleure là où il allait venir un jour et où il ne viendra pas.
On le pleure dans des palais de marbre mais aussi dans de tout petits théâtres. Des lycéens le pleurent. Des professeurs le pleurent. De grandes actrices le pleurent, qui ont joué avec lui, ou pas. Des divas le pleurent, celles qui l’ont amusé ou exaspéré de leurs caprices, mais qui l’ont fait pleurer de joie aussi. Et puis des milliers, des centaines de milliers, des millions de spectateurs le pleurent.
Moi, je le pleure. Tous ces rendez-vous que nous avons repoussés, lui et moi. Surtout moi. Trop de travail. Trop de retard.
— Je viens te voir répéter, lui disais-je, à Aix, je m’offre ce cadeau. La semaine prochaine. Non, pas cette semaine, pardon, je ne peux pas, je suis en retard, mais celle d’après. Sans faute. Je me réjouis.
Il y eut faute. Je n’y allai pas. Trop de travail. Trop de retard. Oh ! Ne faites pas ça. Allez voir vos amis. Car ils meurent, vos amis, et toujours avant vous.
J’aurais tant aimé voir la retraite de Russie ressuscitée par Patrice Chéreau. 

Ariane Mnouchkine
9 octobre 2013


"Patrice était un être humain exceptionnel, avant d'être un homme de théâtre et de cinéma  unique et exemplaire. Désormais il nous reste Ariane Mnouchkine comme conscience."

Jane Birkin


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"Remember"

Stevan Zweig, Le Joueur d'échecs




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 Illustration de couverture proposée par Quentin (1ère - 2010)

L'incipit de Quentin (1ère - 2010)

Quand j'arrivai à la gare du Nord vers 8h du soir, un sentiment nauséeux s’empara de moi. J’avais une boule dans le ventre en revenant à Paris. J'espérais inconsciemment qu'il y aurait quelqu'un pour m'accueillir, j'avais toujours cet espoir illusoire. 
Et cette fois encore, avant de descendre les escalators pour attraper le métro, je me surpris à jeter un dernier regard circulaire au cas où il y aurait quelqu'un... C'était inutile… Mon père m'avait abandonné lorsque j'avais dix ans. Pourquoi ? Lui seul le savait! Et chaque fois que je pensais à lui: je recevais comme un gros coup de poing dans le ventre et j'avais l'impression de ne plus pouvoir respirer. Et dans les escalators ma valise pesait, à chaque fois, un peu plus lourd. Je m’engouffrai dans le métro 4, pour attraper la correspondance pour la ligne 2 à Barbès.
… /…

Le dialogue initiatique : la confrontation, Quentin (1ère - 2010)

Ce matin là, j’eus l'impression d'être tombé du lit, ou plutôt du fauteuil où je m’étais assoupi. J’ouvris les yeux péniblement, avant de regarder autour de moi. J’étais toujours dans ce hall d’hôpital où la police m’avait conduit la veille, sans grande explication. Une infirmière en blouse blanche, à l’air peu engageant se rapprocha de moi. « Si vous êtes réveillé, je vous y conduit », me dit-elle d’un ton si péremptoire que je ne songeai même pas à lui demander ni où, ni pourquoi. Je la suivis dans le dédale des couloirs de l’établissement ultra moderne. Un panneau indiquait les soins intensifs. Je croisai plusieurs personnes l’air triste ou abattu, tous, les traits tirés et l’œil sombre. L’infirmière frappa à la porte n° 487. Une voix masculine et assurée lui répondit d’entrer. Elle me fit pénétrer dans la pièce, referma la porte et me laissa seul avec le patient. Je m’approchai du lit où un homme d’âge mûr reposait assis contre de gros oreillers. Il était d’une terrible maigreur. Ses yeux mangeaient son visage émacié. Ses bras noueux pendaient le long de son corps, les veines affleurant sous la peau. Son regard perçant se posa immédiatement sur moi.
« - assieds-toi, je t’attendais, et je n’aime pas attendre… et encore moins aujourd’hui. »
Je pris place dans le fauteuil à côté du lit, ne pouvant le quitter des yeux. J’avais la gorge sèche et aucun son ne semblait vouloir sortir de ma bouche.
-- Je suis un homme malade... Voilà ce que je suis. Je ne me soigne pas, je ne me suis jamais soigné, même si je respecte la médecine. Mais j’ai horreur des médicaments et surtout des obligations et des engagements. Oui, c’est par goût de la liberté que je ne me soigne pas.

-- Vous …vous êtes malade ? articulai-je bêtement en bégayant légèrement.

-- Oui, et je vais mourir.

-- Mourir ? répétai-je, ahuri.

-- La science me donne quelques heures, et comme je te le disais j’ai confiance en la science.

-- Mais, mais… pourquoi suis-je ici, pourquoi la police m’a t-elle amené ici, que puis-je faire pour vous ?

-- Pour moi, rien. Je n’ai besoin de personne ! Jamais je n’ai eu besoin de personne, je suis libre, te dis-je. Et puis arrête de me vouvoyer bon sang. Tu ne sais pas qui je suis ? On m’avait dit que tu étais malin pourtant. Je vais finir par en douter, et cela me décevrait beaucoup.

-- Mais…

-- Et puis ne prends pas cet air stupide, et redresse-toi, on a de la fierté dans la famille. Car oui c’est bien de famille qu’il s’agit, car bien sûr je suis ton père.

A cet instant, il y a eu comme une déflagration dans mon crâne, comme si quelque part un court circuit avait eu lieu, je crois que j’ai crié ou me suis évanoui ou les deux je ne sais pas, l’infirmière était à mes côtés avec un verre d’eau.
-- « Ceux qui restent, on les plaint, on les console, mais ceux qui partent ? Cela m’a toujours semblé injuste. Le courage de ceux qui se regardent dans la glace un matin et décident de leur vie ... Le courage de regarder sa vie en face. Le courage de tout casser, de tout saccager par ... égoïsme ? ... Le courage de s'affronter. Au moins une fois dans sa vie. De s'affronter, soi-même. Voici pourquoi je t’ai fait venir. Aie ce courage comme je l’ai eu.

-- Courage ? Mais sais-tu ce que nous avons endurés depuis ton départ. Maman était désespérée, seule, abandonnée. », m’exclamai-je, des sanglots dans la voix.

-- « Ta mère est une femme intelligente, elle a compris.

-- Non, elle n’a pas compris ! Tu ne lui a pas laissé d’explication, elle t’a cru mort… tu nous a laissés seuls… » Ma voix était montée dans les aigus et je hurlai maintenant.

-- La majorité des hommes devenus adultes ont tué les restes de leur enfance, ont trahi leur vœu de jeunesse. Baudelaire considérait le droit de contredire comme une noble nécessité de l'homme bien né. Valéry posait, lui, comme condition d'existence de l'Esprit la possibilité de contradiction. Nous partagions ce point de vue ta mère et moi, notre amour était supérieur, spirituel et ne pouvait s’accommoder de la médiocrité du quotidien.

-- Crois-moi, laisse les sots à leur sottise, et ne confonds pas tout. Maman t’aimait et avait besoin de toi, et … moi aussi…Je suis tombé amoureux comme on attrape une maladie. Sans le vouloir, sans y croire, contre mon gré et sans pouvoir m'en défendre. Et parce que j’ai préféré faire souffrir ta mère une fois, plutôt qu'un peu toute sa vie, tu devrais m’en remercier, je lui ai redonné sa liberté. Nous n’étions plus maîtres de nos sentiments, trop fusionnels, trop impliqués émotionnellement, il fallait pratiquer une coupure nette, franche et définitive. On doit couper le bras d’un gangréné pour éviter sa mort. C’est radical, mais vital !

-- Vital ? Mais Maman en est morte ! Tu l’as tuée.

-- …

-- Tu nous as détruits ! Comprends-tu ?

-- Je ne savais pas.

-- Tu as gâché sa vie et la mienne aussi. Seul, j’ai été seul …

-- La solitude est un trésor.

-- Je n’en ai jamais voulu, je n’ai pas choisi.

-- On a toujours le choix. Ta mère a fait son choix, il me déçoit, mais je le respecte, et toi aussi tu dois le respecter. L’homme est libre… libre de ses choix.

-- Mais tu es monstrueux !

-- Le cœur de la femme est un labyrinthe de subtilités qui défie l’esprit. L’amour passionnel n’est pas compatible avec une relation comme le mariage qui n'est qu'une convention froide et prudente excluant d'emblée l'exaltation des sentiments. Plus j’y pense plus je pense que ta mère est admirable. Son geste est magnifique, digne d’une héroïne tragique.

-- C’est affreux, tu n’as provoqué que souffrance et tu en es satisfait. C’est injuste, cruel.

-- La justice, ça n'existe pas. Certains hommes se permettent de corriger leur femme. 
Alors qu'ils sont incapables d'écrire une lettre sans faute.

-- Tu parles, tu parles, de façon caustique, cynique, brillante certes, mais tu parles et tu ne vis pas.

-- Mais que vaut la vie si elle n’est pas idéale !

-- On s’accommode peut-être avec la perfection, on s'arrange, on a nos compromissions, nos petites lâchetés peut-être, mais on rit, on aime, on pleure… On ressent, on vit !

-- Mais tu te trahis ! Moi j’ai toujours vécu en concordance avec mes croyances, et au crépuscule de ma vie, je peux dire que je suis resté fidèle à moi-même.

-- Ce n'est pas l'âge qui fait ce que l’on est, mais l'expérience qui fait ce que l’on devient, c’est dans la confrontation à la vie, aux autres. On est ce que l’on naît, ajouté de ce que l’on reçoit et soustrait de ce que l’on donne !
…/…

-- « Tout va bien, » dit alors l’infirmière toujours de blanc vêtu. Et dont l’humeur s ‘était peu à peu adouci au fil de mes visites. « Vous pouvez partir. Vous pouvez partir, maintenant. »

-- Pourquoi dites-vous cela ? 
On a besoin d’une permission pour mourir ? J’ai vécu toute ma vie sans maître et sans devoir, ce n’est pas pour mourir en sollicitant.

-- Je ne veux pas qu'il meure. Je ne lui donne pas la permission, moi.

-- Je voulais dire que c’est bien, vous avez revu votre fils. Vous pouvez partir en paix avec vous même.

-- Paix ! » articulant avec difficulté maintenant, il rassembla toute l’énergie dont il était encore en possession. « Quelle offense à mon dogme, je ne dépends ni de mon fils, ni de personne pour être en accord avec moi–même, mais en paix, cela jamais, la vie ne peut s’entendre que comme un combat, et c’est la guerre que je me livre tous les jours. Et ce n’est pas aujourd’hui si prêt du but que je vais abdiquer ! »

-- Papa ! »
Le cri est sorti, nous avons été tous les deux surpris, venu de loin, de très très loin, du fin fond de mon enfance, d’une période insouciante, heureuse, en tout cas je le croyais. Prononcer ce mot me fit l’effet d’un électrochoc, une brusque plongée en arrière. Une bouffée de joie m’envahit, totalement incongrue en ce moment, où mon père luttait contre la mort.
-- Papa » répétai-je autant pour moi-même que pour lui. »Et je crus déceler une larme dans ses yeux à cet instant.

-- Lâche prise, arrête. Comprend que la vie est plus heureuse quand tu t’abandonnes, profite un peu, peu importe le temps qui te reste, quand on ne peut plus ajouter de jours ou même d’heures à la vie, il faut y ajouter de l’amour. Mais un amour véritable.

-- L’amour est toujours égocentrique et narcissique. On aime être aimé et non l’être lui-même. » il puisait ses dernières ressources dans son obstination intellectuelle.

-- Non, je parle d’un amour désintéressé et inconditionnel.

-- Il n’existe pas… , insista-t-il encore dans un souffle.

-- Et pourtant Papa je t’aime…

Son corps sembla comme se détendre tout d’un coup, les traits de son visage se lissèrent, il perdit toute sa crispation et ses rides disparurent. Il fut jeune à nouveau, comme dans mon souvenir d’enfant.

-- Je te pardonne, je n’approuve pas tes actes, mais je te pardonne. »

Je lui pris alors la main, et déjà je sentis que la vie commençait à le quitter, au moment où peut être elle aurait pu commencer.
Il n'avait été que source de souffrance. Mais je ne l'en adorais que plus à cause de cette éternelle stupidité qui nous pousse à nous accrocher à ceux qui nous font du mal. 
J’en hurle intérieurement de froid et de solitude. Je ne veux pas. Je veux le retenir. Je ne veux pas grandir…

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